Index Introduction 1 1. La coopération en matière de droits de l’Homme 4 a. La question de l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’Homme 4 b. L’utilisation des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’Homme 5 c. Le recours au Commissaire aux droits de l’Homme 7 d. La question de l’Agence européenne des droits fondamentaux 8 e. Les relations entre la Cour européenne des droits de l’Homme et la Cour de justice des Communautés européennes 9 f. La coordination des initiatives législatives en matière de droits de l’Homme 10 2. La démocratie 12 a. Une attente nouvelle de démocratie 12 b. La Commission de Venise et les questions constitutionnelles 12 c. Un Forum sur l’avenir de la démocratie 13 d. L’égalité homme-femme, une question paneuropéenne 13 e. Renforcer la démocratie locale et régionale 14 f. Valoriser l’action de la société civile 15 3. L’Etat de droit 16 a. Pour un espace juridique et judiciaire paneuropéen 16 b. La clause de déconnexion 18 c. Pour une plate-forme conjointe d’évaluation des normes 20 d. Pour un développement de la coopération judiciaire 21 4. Politique européenne de voisinage et Processus de stabilisation et d’association de l’Union européenne 23 5. Les valeurs européennes sur le terrain 25 a. Jeunesse 25 b. Education 26 c. La coopération culturelle 27 d. Le dialogue interculturel 28 6. Les programmes conjoints 30 7. Les consultations et coopérations interinstitutionnelles 32 a. Les rencontres au niveau des leaders 32 b. La coopération interparlementaire 33 c. Le rôle des Etats membres dans la coopération interinstitutionnelle 35 d. Vers une réciprocité appropriée de la représentation 35 8. L’adhésion de l’Union européenne au Conseil de l’Europe 37 Recommandations finales 38 Introduction Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sont nés d’une même idée, d’un même esprit, d’une même ambition. Ils ont mobilisé l’énergie et l’engagement des mêmes pères fondateurs de l’Europe. L’un comme l’autre ont fait leur le constat que le comte Richard Coudenhove-Kalergi formulait dès l’entre-deux-guerres : « Une Europe divisée conduit à la guerre, à l’oppression, à la misère ; une Europe unie à la paix, à la prospérité. » Depuis plus de vingt ans, je pratique l’Union européenne au quotidien, d’abord au Conseil des ministres, ensuite aussi au Conseil européen. J’ai cependant toujours entretenu avec le Conseil de l’Europe une relation spéciale, personnelle voire irrationnelle. Un lien qui remonte jusqu’au temps de mes études à Strasbourg, ville symbole de la réconciliation franco-allemande et haut lieu du parlementarisme européen. C’était donc avec un plaisir réel que j’ai accepté au Sommet du Conseil de l’Europe à Varsovie, le 17 mai 2005, la mission d’élaborer à titre personnel un rapport sur les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Mes pairs, les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe, ont eu la sagesse de prévoir que je présente ce rapport en mon nom personnel, m’octroyant par là une liberté d’analyse et de propos indispensable dans ce travail de consultation, de réflexion et de rédaction. Quel chemin notre continent n’a-t-il pas accompli depuis soixante ans ? Cette Europe, qui a vécu pendant des siècles au rythme des conflits armés, qui, si elle a donné naissance aux plus belles oeuvres de l’humanité, a aussi commis sur son sol les pires atrocités. En dépit des difficultés du moment et des contraintes qui pèsent, je prétends que jamais l’Europe ne fut un continent aussi facile à vivre qu’aujourd’hui. Si nous comparons les soucis des générations actuelles aux dramatiques interpellations auxquelles devaient faire face les générations de nos parents et grands-parents, force est de constater que l’histoire nous sourit. Comme le rappellent les conclusions du Sommet de Varsovie, nous sommes les témoins d’une unité paneuropéenne sans précédent. Les défis qui se posent à nous ne doivent pas pour autant être sous-estimés. L’Europe traverse une phase délicate dans son processus de construction et, plus généralement, dans l’évolution de sa société. L’Europe ne fait plus rêver. La conviction profonde qui guidait la génération des pères fondateurs, que « plus d’Europe » – à bon escient, au bon endroit – constituait la condition du progrès pour tous les citoyens de notre continent compliqué, rencontre de nos jours de plus en plus souvent un scepticisme hostile. Le projet européen ne pourra avancer si nous ne réussissons pas à regagner la confiance de nos concitoyens. Afin d’y parvenir, nous devons remettre l’intégration européenne en perspective, impliquer davantage les citoyens à tous les niveaux et veiller à une distribution visible des dividendes de l’Europe. L’Europe et les Etats qui la composent doivent en même temps résister aux chants des sirènes du repli sur soi. Ils ne sauront échapper au processus de mondialisation -1 - économique et culturelle en pleine accélération. Il leur faut, au contraire, l’embrasser et le façonner. L’exceptionnelle diversité intérieure de l’Europe, le pouvoir mobilisateur de ses valeurs communes, les enseignements tirés de son expérience de la violence et de la division ainsi que son apprentissage de la responsabilité collective lui permettront, si elle le veut et s’en donne les moyens, d’apporter une contribution majeure à la dynamique en cours. L’enracinement de la démocratie et de l’Etat de droit fait avec raison la fierté de notre continent. La diffusion des principes démocratiques, des droits de l’Homme et de la prééminence du droit demeurent néanmoins une tâche inachevée. Nous aurions tort de nous laisser berner par l’illusion que la démocratie, une fois acquise, serait inébranlable. Nous avons, au contraire, l’ardente obligation de réaffirmer en permanence les principes démocratiques qui sont les nôtres. Nous ne pouvons permettre que la démocratie se détériore en des rituels vides. Nous devons résister à la tendance des classes politiques et des structures étatiques à s’éloigner des citoyens. La démocratie est quelque chose de vivant. Ancrée dans des fondements solides, elle a besoin de s’adapter, de se réinventer, afin de répondre aux nouvelles demandes politiques de nos concitoyens. Les coopérations paneuropéennes gardent une actualité et une pertinence indéniables. Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne en sont les exemples les plus accomplis. L’un comme l’autre ont développé un modèle de coopération particulier, tous deux bénéficient de leurs instruments propres, vocations propres et périmètres propres. Malgré un enrichissement mutuel, les deux organisations n’ont formé qu’un attelage bancal. Bien qu’elles se soient nourries d’emprunts réciproques, elles n’ont pas su organiser durablement leur complémentarité. C’est ce constat des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe qui est à l’origine de la mission dont je suis chargé. Je voudrais voir la coopération entre le Conseil et l’Union devenir plus intense, pour ne pas dire plus intime. Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sont tous deux nécessaires, différents et uniques. « Ne perdons pas notre temps dans des disputes sur qui fut à l’origine de l’idée d’une Europe unie, » nous implorait Winston Churchill déjà en 1948 à La Haye. Quand il s’agit de l’essentiel, les rivalités entre les deux organisations n’ont pas lieu d’être. Nos deux organisations sont d’une grande complémentarité de par leurs domaines d’action et leurs expériences. Je me suis donc attaché à mettre en évidence les lignes de force de ce que pourrait être une meilleure coopération entre le Conseil et l’Union, un véritable partenariat conscient, serein et structuré, un partenariat au service d’une seule Europe de la dimension humaine. Je sais la complexité de la construction européenne. Je connais trop le poids des structures, que ce soit dans nos capitales ou à Bruxelles et Strasbourg. Mon ambition n’était donc pas de révolutionner. Mon approche se veut pragmatique et vise à exploiter de façon systématique un potentiel réel que nous ignorons encore trop souvent. La complémentarité recherchée devra s’organiser autour d’un renforcement continu de la démocratie, des droits de l’Homme et de l’Etat de droit dans une Europe de 800 millions -2 - de citoyens. Cette complémentarité passera par un renouvellement des pratiques démocratiques et par un rôle renforcé du Commissaire aux droits de l’Homme, des instances parlementaires et du Congrès du Conseil de l’Europe. Elle supposera une implication accrue de la société civile. L’ambition partagée d’une Europe sans clivages pourrait être soulignée par davantage de projets concrets à développer en commun par les deux organisations. Je pense en particulier aux domaines de la jeunesse, de l’éducation, de la culture et du dialogue interculturel. Mes propositions se veulent ici plus modestes. On aurait néanmoins tort de négliger la symbolique ou encore l’effet d’entraînement de telles coopérations. Aux chefs d’Etat et de gouvernement qui m’ont chargé de la rédaction de ce rapport, je voudrais dire que le Conseil de l’Europe garde toute son actualité. Il n’est pas en crise et il n’a pas perdu sa raison d’être. Véritable fabrique de démocratie, il constitue un élément de canalisation du continent européen indispensable et inégalé. L’action du Conseil de l’Europe est nécessaire pour l’Europe et nécessaire pour l’Union européenne. Mais je récuse l’idée qui voudrait que le Conseil de l’Europe se réduise à une chambre d’attente pour accéder à l’Union européenne. L’Union européenne construit, pour nombre de ses politiques, sur les fondements bâtis par le Conseil de l’Europe, que ce soit dans le cadre de son élargissement, de sa politique européenne de voisinage ou du processus de stabilisation et d’association. Je peux donc réaffirmer que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sont des partenaires, des organisations différentes mais complémentaires. Il nous faut cependant refonder ce partenariat, afin qu’il puisse trouver à terme une traduction institutionnelle exemplaire. La conclusion que je tire dans le présent rapport, après des consultations nombreuses et enrichissantes, se veut optimiste. Les domaines naturels de coopération vertueuse entre les deux organisations sont considérables et la plus-value d’un tel partenariat renouvelé me paraît incontestable. Il revient à nous tous de faire preuve du volontarisme nécessaire pour relever les défis qui s’élèvent devant nous. Pour réussir, nous devons trouver de nouvelles formes de relations entre nos organisations et des contacts plus naturels entre les responsables des différentes institutions. La dernière partie du rapport y est consacrée. Je souhaite contribuer ainsi, comme mes collègues me l’ont demandé, à la mise en place d’un partenariat nouveau entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Le premier acte, à court terme, sera la finalisation d’un mémorandum ambitieux sur les relations entre les deux organisations. Il ne s’agira que d’un premier pas. Pour atteindre nos objectifs communs dans la durée, il nous faudra ensuite prolonger ce travail avec confiance et ténacité. -3 - 1. La coopération en matière de droits de l’Homme a. La question de l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’Homme L’Union européenne (UE) devrait-elle adhérer à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe, mieux connue sous l’appellation Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) ? Longtemps débattue, cette adhésion est aujourd’hui au niveau politique une chose entendue. Les 46 chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe réunis en mai 2005 à Varsovie ont ainsi réitéré leur souhait que l’Union européenne adhère rapidement à la Convention européenne des droits de l’Homme. Il s’agit en premier lieu de s’assurer d’une plus grande cohérence en matière de sauvegarde des droits de l’Homme en Europe. Au-delà des décideurs politiques, cette question occupe depuis longtemps de nombreux experts juridiques tant du Conseil de l’Europe que de la Communauté et/ou de l’Union européenne1, sans oublier les juges de la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg et de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) à Luxembourg. Cette dernière prend déjà un soin particulier à éviter d’éventuels conflits avec la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Ainsi, lorsque devant la CJCE sont invoquées des questions relatives aux droits et libertés inscrits dans la CEDH, celle-ci bénéficie d’une véritable réception matérielle au sein de l’ordre juridique de l’Union. Une adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme n’entraînerait aucune modification dans la répartition des compétences entre l’Union et ses Etats membres telle que prévue par les traités. Il n’y aurait pas davantage un quelconque lien de subordination d’une organisation – l’Union européenne – à une autre – le Conseil de l’Europe. L’adhésion à la CEDH permettrait par contre de soumettre les institutions de l’Union européenne au même contrôle extérieur quant au respect des droits fondamentaux que connaissent déjà les institutions des Etats membres. L’adhésion ouvrirait de même à l’Union européenne la possibilité de se constituer partie aux litiges devant la Cour des droits de l’Homme qui touchent, directement ou indirectement, le droit communautaire. L’intervention de l’Union européenne devant la Cour européenne des droits de l’Homme ne lui permettrait pas seulement d’expliquer et de défendre les dispositions mises en cause. L’opposabilité à l’Union européenne d’un éventuel arrêt de la Cour concluant à une violation serait par ailleurs renforcée, et l’exécution de cet arrêt par l’Union européenne, là où elle relèverait de sa compétence, serait assurée. D’un point de vue technique les échanges entre experts des deux organisations ont permis de trouver une réponse à la plupart des questions autour des implications pratiques d’une adhésion de l’Union européenne à la CEDH. Les modalités de cette adhésion doivent 1 Sur toute une série de sujets, une description fine des compétences supposerait de se référer tantôt à la Communauté et /ou à l’Union européenne et à ses Etats membres. L’auteur de ce rapport en a pleinement conscience. Toutefois pour la commodité de la lecture, le terme d’ « Union européenne » a systématiquement été utilisé dans le corps de ce document qui se veut d’abord un rapport politique. -4 - permettre de préserver l’intégrité de l’ordre juridique de l’Union. Les efforts de clarification autour de cette question se poursuivent sans soulever de problèmes majeurs. La Charte des droits fondamentaux des citoyens de l’Union européenne, qui s’inspire largement d’instruments du Conseil de l’Europe, a été proclamée. Du côté du Conseil de l’Europe, l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme est rendue possible dès l’entrée en vigueur du Protocole n° 14 à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la Convention. Si le dossier de l’adhésion effective de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme se trouve néanmoins en suspens, il faut en chercher l’explication dans le contexte général de l’évolution des traités de l’Union européenne. J’estime qu’il n’y a pas d’alternative au projet de traité instituant une constitution pour l’Europe. Pour autant, il n’y pas de raison – quand on se trouve devant un accord politique de tous les Etats membres sur une question aussi fondamentale pour les citoyens que celle de l’adhésion à la CEDH – de renoncer à une adhésion de l’Union européenne dans les meilleurs délais. Ce n’est ni fragiliser ni trahir le projet de traité constitutionnel que de recourir à une mesure exceptionnelle et de jeter d’ores et déjà un pont institutionnel entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. Je propose donc que les gouvernements des Etats membres prennent, en vertu de l’article 48 du Traité sur l’Union européenne2, l’initiative de soumettre à leurs parlements, sous la forme d’un protocole, une décision qui ouvre la voie à l’adhésion de l’Union européenne à la CEDH. b. L’utilisation des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’Homme Riche d’une longue expérience, le Conseil de l’Europe a développé toute une série de mécanismes de suivi du respect des droits de l’Homme dans ses Etats membres. Les mêmes mécanismes serviront de cadre de référence pour la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Ces mécanismes sont : 2 « Article 48 : Le gouvernement de tout État membre, ou la Commission, peut soumettre au Conseil des projets tendant à la révision des traités sur lesquels est fondée l'Union. Si le Conseil, après avoir consulté le Parlement européen et, le cas échéant, la Commission, émet un avis favorable à la réunion d'une conférence des représentants des gouvernements des États membres, celle-ci est convoquée par le président du Conseil en vue d'arrêter d'un commun accord les modifications à apporter auxdits traités. Dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire, le conseil de la Banque centrale européenne est également consulté. Les amendements entreront en vigueur après avoir été ratifiés par tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. » -5 - -le contrôle par le Comité des Ministres de l’exécution, par les Etats membres, des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme prononcés en vertu de la CEDH, qui fait partie intégrante de l’ordre juridique interne des Etats membres du Conseil de l’Europe ; -le travail de vérification par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du respect des engagements et obligations pris par les Etats membres lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe ; -le système de visites effectuées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), qui agit en vertu de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme ainsi qu’en vertu de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, adoptée en 1987 ; -la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), dont la tâche est la lutte contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance au niveau de la grande Europe sous l’angle de la protection des droits de l’Homme ; -l'évaluation de la mise en oeuvre effective de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales ; -les rapports, conclusions et recommandations du Commissaire aux droits de l’Homme rédigés à l’attention du Comité des Ministres et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à l’issue des visites qu’il effectue dans chaque État membre ; -le mécanisme de suivi qui verra le jour avec l’entrée en vigueur de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains du Conseil de l’Europe. Les arrêts, rapports, conclusions, recommandations et autres avis qui émanent de ces mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe sont autant d’instruments et de vecteurs d’expertise auxquels les institutions et groupes de travail de l’Union européenne se réfèrent quand il est question d’Etats membres du Conseil de l’Europe, qu’ils soient membres ou pas de l’Union européenne. Ces documents sont cités explicitement ou non dans des domaines politiques et contextes divers – à l’exemple de la politique communautaire, des relations extérieures ou encore du domaine justice, liberté et sécurité, pour ne citer que ceux-là – lorsque la question de la situation politique générale ou celle des droits fondamentaux en particulier est posée dans un des Etats membres du Conseil de l’Europe. Il me semble donc approprié qu’au sein des instances de l’Union européenne, l’esprit de l’article 6.2 du Traité sur l’Union européenne, sur lequel est fondé la coopération avec le Conseil de l’Europe, se concrétise par une règle de travail stipulant que les arrêts, rapports, conclusions, recommandations et avis issus des mécanismes de suivi précités : 1. soient systématiquement considérés comme la première référence continentale en matière de droits de l’Homme ; 2. soient explicitement cités comme référence dans les documents produits par ces instances de l’Union européenne. -6 - Cette proposition sanctionne en fait des pratiques existantes. Mais elle prévoit d’édicter en règle pour toutes les institutions et à tous les niveaux de l’Union européenne ce qui n’est aujourd’hui qu’une simple pratique. Par cette formulation explicite, le statut des conventions et des mécanismes de suivi en matière de droits de l’Homme du Conseil de l’Europe serait renforcé dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, qu’ils soient membres de l’Union européenne ou non. Cette règle conduira ainsi à une coopération plus efficace entre les deux organisations. g. Le recours au Commissaire aux droits de l’Homme Pour développés qu’ils soient, les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe sont dans l’impossibilité de répondre à toutes les questions. Il est donc possible voire probable que l’Union européenne s’intéresse par moments à des problématiques spécifiques qui échappent à ces mécanismes. Dans ces cas, les institutions de l’Union européenne devraient pouvoir recourir à l’expertise du Commissaire aux droits de l’Homme, à l’instar des possibilités ouvertes aux Etats membres du Conseil de l’Europe. Le Commissaire aux droits de l’Homme bénéficie en vertu de son mandat d’une capacité d’agir ad hoc, plus grande que celle des organes de contrôle dont le fonctionnement est lié à une convention ou à un mandat plus stricts. L’utilité générale d’un tel recours est évidente pour les Etats membres du Conseil de l’Europe. Elle l’est à fortiori pour compléter l’action des organes existants de l’Union européenne, que ce soit dans le cadre de son processus d’élargissement, de sa Politique européenne de voisinage ou du Processus de stabilisation et d’association. Le Commissaire aux droits de l’Homme agit en toute indépendance et impartialité quand il s’agit d’identifier des insuffisances dans le droit et dans la pratique des Etats en matière de respect des droits de l’Homme. Il effectue des missions au contact direct des citoyens européens et donc de leurs problèmes quotidiens. Il publie, d’une part, des rapports sur ses visites dans les Etats membres. Il fournit, d’autre part, des conseils pratiques et offre ses services de médiateur. Il lui est même arrivé de négocier des solutions concrètes sur le terrain. Dans son action, il agit en cohérence avec l’ensemble du dispositif de défense des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. Il doit ainsi respecter la compétence des autres organes de contrôle mis en place dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’Homme ainsi que des autres instruments du Conseil de l'Europe relatifs aux droits de l’Homme. Ses fonctions sont donc autres que celles remplies par ces derniers. Dans la pratique, le Commissaire aux droits de l’Homme est une émanation directe du Conseil de l’Europe, mais son action n’est pas limitée à cette enceinte. Il travaille tant avec l’Organisation des Nations Unies, le Comité international de la Croix Rouge et le Haut Commissariat aux Réfugiés qu’avec l’Union européenne et des Etats membres individuels. Il répond à des demandes qui lui sont adressées dans ses différentes capacités qui sont le « reporting », la négociation, la médiation et la consultation. Son intervention se fait souvent dans le silence, sans aucune publicité, de manière informelle. Elle peut -7 - prendre la forme de coups de fil directs, de la mobilisation de réseaux ou encore de l’établissement de contacts entre les acteurs appropriés. Bien que sa fonction soit finalement encore jeune, le Commissaire aux droits de l’Homme a su gagner le respect de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. On peut citer ici ses interventions sur la question du traitement des réfugiés sur l’île de Lampedusa et sur la réforme carcérale en Turquie. L’Union européenne lui a de même exprimé sa confiance à maintes reprises. Il y a bien sûr ses contacts fréquents avec le Parlement européen et avec le Haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune. Il y a surtout la façon dont il a coordonné, à la demande du commissaire européen Günter Verheugen, les rapports sur la situation en matière de droits de l’Homme dans dix pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne. Ce qui se pratique déjà avec succès devrait être formalisé, rendu plus systématique et consolidé. C’est pourquoi je propose – et en cela je reste en ligne avec l’attitude générale partagée à l’Union européenne comme au Conseil de l’Europe, que le Conseil de l’Europe reste la référence première en matière de droits de l’Homme sur le continent européen – la mise en place explicite d’un mécanisme de recours par l’Union européenne au Commissaire aux droits de l’Homme. Il couvrirait toutes les questions de droits de l’Homme concernant des Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas traitées par les mécanismes de suivi et de contrôle déjà en place. Ce mécanisme serait ouvert aux institutions de l’Union européenne, ainsi qu’à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Pour que le Commissaire aux droits de l’Homme puisse être à même de remplir sa mission, il est nécessaire de renforcer ses ressources. Ses ressources budgétaires au sein du Conseil de l’Europe devront être augmentées substantiellement. Il devrait par ailleurs être habilité à présenter ses propres propositions budgétaires. Une contribution volontaire et non conditionnelle de l’Union européenne au bureau du Commissaire aux droits de l’Homme devrait également être sérieusement envisagée. Finalement, les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient proposer le détachement d’experts nationaux indépendants en droits de l’Homme, choisis par le Commissaire aux droits de l’Homme, pour renforcer ses services. h. La question de l’Agence européenne des droits fondamentaux La question de l’Agence européenne des droits fondamentaux (AEDF) est un sujet sensible dans les relations entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. De nombreuses voix se sont élevées pour soulever les risques que cette nouvelle institution pourrait faire courir à l’unicité du système de protection des droits de l’Homme en Europe. Le Conseil de l’Europe doit rester « la » référence en matière de droits de l’Homme en Europe. Ceci implique l’obligation pour l’Union européenne de se référer systématiquement à l’expertise du Conseil de l’Europe. Cette obligation couvre tant ses propres membres et les Etats candidats que les pays tiers, membres du Conseil de -8 - l’Europe, dans le cadre des relations bilatérales de l’UE, de sa Politique de voisinage, des accords d’association ou encore du Processus de stabilisation et d’association. Le Conseil de l’Europe continuera à s’occuper du « monitoring » tout comme du suivi du respect des droits de l’Homme dans ses Etats membres. Il procèdera, à travers des rapports, à des évaluations périodiques pays par pays et ce pour l’ensemble de ses 46 membres, y compris donc les Etats membres de l’Union européenne. La valeur de référence des rapports thématiques du Conseil de l’Europe doit également être maintenue et renforcée. La future AEDF devra donc être conçue de manière strictement complémentaire aux instruments d’observation et de suivi du respect des droits de l’Homme élaborés par le Conseil de l’Europe. Son mandat devra impérativement se limiter aux questions du respect des droits fondamentaux dans le cadre de la mise en oeuvre du droit communautaire, donc dans le cadre de l’ordre juridique strictement interne à l’Union européenne. Il ne pourra en aucun cas être élargi à l’observation générale, par des procédures et des ressources propres, de la situation en matière de droits de l’Homme dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Il restera à l’appréciation de l’Agence d’engager ses propres ressources pour des observations thématiques dans les Etats membres de l’Union européenne sur des sujets qui relèvent au premier chef de l’ordre juridique interne de l’Union. Il est généralement admis que la future agence coopérera étroitement avec le Conseil de l’Europe et évitera tout chevauchement avec ses activités. Ces intentions sont à ce stade formulées de façon très générale dans la proposition de règlement sur le statut de l’AEDF. Des précisions me semblent nécessaires. Il faudra, par exemple, clarifier dans le règlement sur le statut de l’AEDF la façon dont elle reconnaîtra les rapports du Conseil de l’Europe au sujet de ses Etats membres – qu’ils soient membres ou non de l’Union européenne – comme une référence pour ses travaux. Il conviendrait de même de mentionner explicitement dans les statuts de l’AEDF – à l’instar des traités – la Convention européenne des droits de l’Homme, ainsi que les autres instruments-clés du Conseil de l’Europe en la matière, comme instruments de référence fondamentaux. Il va de soi que le Conseil de l’Europe devra être représenté dans les instances dirigeantes de l’Agence. Il serait par ailleurs utile que le Commissaire aux droits de l’Homme figure dans les statuts comme un partenaire essentiel de la nouvelle agence et puisse être associé sans voix délibérative aux travaux de ses instances dirigeantes. Ceci ne réduirait en rien son indépendance. i. Les relations entre la Cour européenne des droits de l’Homme et la Cour de justice des Communautés européennes Nonobstant la surcharge respective de la Cour européenne des droits de l’Homme3 et de la Cour de justice des Communautés européennes, ainsi que les réformes menées à la 3 Un Groupe des Sages examine actuellement cette question. De ce fait, ce rapport n’en traitera pas. -9 - Cour des droits de l’Homme, la coopération entre les cours de Strasbourg et de Luxembourg est considérée comme un motif de grande satisfaction des deux côtés. Il n’existe aucun lien institutionnel entre les deux cours. Les deux juridictions coopèrent néanmoins de manière fructueuse, car elles ont toutes les deux le souci de la sécurité juridique dans un domaine aussi sensible que celui des droits fondamentaux. La jurisprudence de Luxembourg suit de très près celle de Strasbourg. La jurisprudence de Strasbourg estime de son côté que la protection communautaire des droits fondamentaux est « équivalente » à la protection assurée au titre de la Convention européenne des droits de l’Homme. Des contacts réguliers entre les juges des deux cours assurent un échange permanent d’informations sur des questions d’intérêt commun. Les deux cours offrent un exemple de coopération exemplaire entre des institutions de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe dans l’intérêt des citoyens. Il me paraissait important de le souligner ici. Bien sûr, ceci n’appelle pas de recommandation particulière de ma part. Tout au plus puis-je exprimer le voeu que cette coopération s’approfondisse et se concentre sur les questions d’interprétation de la notion de « droits de l’Homme » afin que les jurisprudences des deux cours évoluent de manière convergente. j. La coordination des initiatives législatives en matière de droits de l’Homme C’est une pratique bien établie que le Conseil de l’Europe implique l’Union européenne dès lors qu’une nouvelle convention est en gestation. La Commission européenne intervient au nom de la Communauté européenne sur toutes les questions qui relèvent des compétences de la Communauté européenne dans les réunions dans lesquelles une telle convention est élaborée. La Commission peut intervenir de cette manière bien que la Communauté européenne n’ait pas adhéré au Conseil de l’Europe. Une telle présence du Conseil de l’Europe n’est pas possible quand une directive communautaire est élaborée dans les instances communautaires ou quand des mesures politiques et/ou judiciaires sont préparées au sein de l’Union européenne. Les transferts de souveraineté qui font la particularité des institutions de l’Union européennes ne permettent pas la participation aux processus de délibération internes d’une organisation internationale qui n’a pas la qualité de partie contractante des traités communautaires. Il n’y a cependant pas de raison que l’Union européenne se prive de l’expertise du Conseil de l’Europe dans les domaines judiciaires et des droits de l’Homme, quand elle prépare des directives ou d’autres mesures politiques et/ou judiciaires. Cela a déjà été le cas par le passé. Or, le Conseil de l’Europe a été sollicité au même titre que des organisations non-gouvernementales. Cette procédure ne tient donc pas compte du statut central de l’organisation internationale qu’est le Conseil de l’Europe dans le dispositif de défense des droits de l’Homme sur notre continent. -10 - L’esprit de la règle de travail que je préconise ci-dessus veut que les travaux issus des mécanismes de suivi des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe soient systématiquement considérés comme la première référence en la matière. Elle prévoit par ailleurs que le Commissaire aux droits de l’Homme soit un mécanisme de recours pour l’Union européenne. Pour parer à toute insécurité juridique dans le domaine des droits de l’Homme, je propose donc que les instances de l’Union européenne coopèrent systématiquement avec le Commissaire aux droits de l’Homme et les experts juridiques du Conseil de l’Europe sur toutes les questions qui touchent aux droits de l’Homme dans de nouvelles propositions. Les experts du Conseil de l’Europe en matière de prévention de la torture, de lutte contre le racisme, de protection des minorités nationales et de lutte contre la traite des êtres humains devraient également participer à cette coopération renforcée. -11 - 2. La démocratie a. Une attente nouvelle de démocratie Auprès des institutions de l’Union européenne et de ses Etats membres, il y a une préoccupation nouvelle sur la nature et le fonctionnement de nos démocraties. Les travaux menés au Conseil de l’Europe suscitent en ce sens un grand intérêt. Le caractère démocratique d’un régime est une condition à l’adhésion à l’Union européenne. Or, celle- ci ne dispose d’aucun mandat particulier en la matière, ce qui souligne l’importance cruciale des compétences du Conseil de l’Europe dans ces domaines. Le Conseil de l’Europe a été et reste toujours une école de la démocratie, un lieu d’apprentissage des pratiques parlementaires ainsi qu’un centre de diffusion du « soft power » et du dialogue comme moyen politique sur le continent européen. Mais la démocratie ne cesse de se transformer. Elle doit être réinventée constamment pour garder sa légitimité vis-à-vis des citoyens. La Commission européenne a, de son côté, exprimé son intérêt pour que le Conseil de l’Europe devienne encore plus actif dans le domaine de la promotion de la démocratie. Il est utile de rappeler qu’elle vient elle-même de lancer son Plan D comme Démocratie, Dialogue et Débat, qui s’étendra bien au-delà de l’année 2006. Je crois que des synergies sont possibles et même nécessaires entre le Plan D de la Commission européenne et les projets des instances du Conseil de l’Europe dans ces domaines. Les axes de coopération possible concernent les problèmes constitutionnels, la participation des citoyens à tous les niveaux de la vie politique, l’égalité entre les sexes, la citoyenneté et l’identité, les « communautés durables », les territoires comme lieu d’exercice de la démocratie, la participation politique des populations immigrées ou encore le dialogue interculturel. Le champ des interrogations est vaste et presque toujours situé au coeur des compétences du Conseil de l’Europe. b. La Commission de Venise et les questions constitutionnelles La coopération entre l’Union européenne d’une part, et la Commission européenne pour la démocratie par le droit, dite Commission de Venise, de l’autre, connaît une histoire déjà longue. Créée en 1990, la Commission de Venise a joué un rôle essentiel dans l’adoption de constitutions conformes aux standards du patrimoine constitutionnel européen dans les pays qui ont opté après 1989 pour une transition vers la démocratie. Elle bénéficie aujourd’hui d’une reconnaissance internationale en tant qu’instance de réflexion indépendante. Elle contribue à assurer aux États le « dépannage constitutionnel ». Elle joue en outre un rôle unique dans la gestion et la prévention des conflits à travers -12 - l’élaboration de normes et de conseils en matière constitutionnelle. D’ailleurs, la Commission européenne participe activement aux sessions de la Commission de Venise. Une coopération renforcée avec l’Union européenne – une coopération institutionnalisée – est souhaitée par la Commission de Venise, qui y voit un renforcement de la sécurité démocratique et de la sécurité des minorités. Le débat reste ouvert du côté de l’Union européenne. Pour ma part, je pense qu’à terme la coopération avec la Commission de Venise doit être formalisée par une adhésion en bonne et due forme de l’Union européenne. c. Un Forum sur l’avenir de la démocratie Comment une organisation intergouvernementale comme le Conseil de l’Europe peut-elle contribuer à renforcer la participation citoyenne qui partout s’étiole, que ce soit aux niveaux, national, régional ou local ? Comment redonner du goût à nos citoyens pour ce formidable projet d’intégration qu’est l’Union européenne ? La première réunion du Forum sur l’avenir de la démocratie, qui s’est tenu les 3 et 4 novembre 2005 à Varsovie, a montré un certain nombre de nouvelles pistes. Les participants au Forum ont souligné la nécessité de donner aux citoyens de réelles opportunités pour influencer les processus de décision démocratique à tous les niveaux. Cette approche doit être intégrée. J’ai la conviction qu’il y a ici matière pour de nombreuses coopérations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Le Forum devrait donc être aussi large et représentatif que possible, autonome et efficace, flexible et créatif. Il devrait surtout être suivi de façon intense par les décideurs et les acteurs sur le terrain, par des groupes de travail et de réflexion issus de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. C’est quand les informations, les idées et les bonnes pratiques s’échangent librement que de nouveaux instruments peuvent voir le jour. d. L’égalité homme-femme, une question paneuropéenne L’égalité homme-femme est un principe transversal qui est présent dans toutes les politiques de l’Union européenne. Mais son application est inégale dans les Etats membres de l’Union européenne, et ceci est également vrai à l’échelle du Conseil de l’Europe. La mise en oeuvre de ce principe est aujourd’hui implicitement et parfois explicitement remise en cause dans les grands débats de société qui traversent nos opinions. Or, l’égalité homme-femme aux niveaux économique et social, mais aussi politique, représente un principe fondamental et constitutif des sociétés européennes sur lequel nous ne pouvons transiger. L’action du Conseil de l’Europe dans ces domaines s’exerce dans le cadre général de la protection et de la promotion des droits de la personne humaine. Il est engagé par -13 - exemple, dans la lutte contre la traite des êtres humains et contre la violence à l’égard des femmes, mais aussi dans la lutte pour l’égalité dans la démocratie ainsi que dans celle pour la place des femmes dans la politique et dans le processus de prise de décision. L’Union européenne dispose d’outils développés pour veiller aux droits économiques et sociaux des femmes. Elle n’a par contre pas de mandat direct pour intervenir sur les questions liées à la participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision dans la vie politique et publique. Là encore s’ouvrent des possibilités de coopération très fructueuses entre nos deux organisations. e. Renforcer la démocratie locale et régionale Avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, le Conseil de l’Europe dispose d’un instrument qui peut contribuer à la décentralisation du pouvoir et au renforcement de l’autonomie locale ainsi qu’à une nouvelle prise en compte de nos territoires. Or c’est une des pistes prometteuses du renouvellement nécessaire de la démocratie. Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont déjà créé des synergies dans ce domaine, en particulier dans le cadre de l’Accord de coopération entre le Congrès et le Comité des Régions de l’Union européenne. Cette coopération devra se poursuivre et s’intensifier. Dés à présent, plusieurs pistes de coopération potentielles se dessinent : 1. Le développement d’« eurorégions » d’un type nouveau, impliquant à la fois des régions de pays de l’Union et de pays hors de l‘Union, à l’exemple de l’Eurorégion adriatique qui a été lancée en février 2006. La création de ce type d’« eurorégions » sur la mer Noire et la mer Baltique permettra d’instaurer des liens politiques et économiques plus étroits entre les administrations locales, régionales et nationales des États membres de l’Union européenne, des pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne et des autres pays européens membres du Conseil de l’Europe. 2. La création du Centre pour la coopération interrégionale et transfrontalière (CoPIT). Ce Centre, dont je soutiens fermement l’installation à Saint-Pétersbourg, ville-phare de l’Europe, devrait encourager le développement de l’autonomie locale et régionale, notamment par le suivi des nouvelles « eurorégions », et ouvrir un carrefour de coopération entre les territoires d’Europe. Je recommande par ailleurs que l’Union européenne, ensemble avec les institutions compétentes du Conseil de l’Europe, réfléchisse à la façon dont elle pourrait y participer. 3. De nouveaux réseaux d’associations de pouvoirs locaux. Des programmes conjoints de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe pourraient soutenir, après la création du Réseau des associations d’autorités locales de l’Europe du Sud-est (NALAS), des réseaux similaires dans le Caucase du Sud et dans les Balkans occidentaux. -14 - 4. L’Association des Agences de la démocratie locale (ALDA) dans l’Europe du Sud-est, lancée par le Congrès afin de développer la démocratie locale et de promouvoir les mesures de confiances dans les pays qui ont été affectés par les récentes guerres dans les Balkans, devrait être d’autant plus soutenue par l’Union européenne que ces pays bénéficient d’une perspective européenne. Cette initiative pourrait concerner d’autres régions de l’Europe. 5. La société européenne est régulièrement affectée par des crises urbaines, crises sociales ou crises communautaires. Le Congrès peut être une des plate-formes pour favoriser l’indispensable dialogue interculturel et interreligieux au niveau local. Il peut élaborer, par exemple, des codes de conduite pour la gestion des conflits interculturels, mais aussi contribuer par son action à l’intégration et à la participation des personnes issues de l’immigration ainsi que des résidents étrangers. f. Valoriser l’action de la société civile Il n’y a pas de démocratie sans société civile forte, qui apporte à la satisfaction des besoins collectifs une contribution complémentaire de celle des instances politiques et qui veille à la transparence et la responsabilité de l’action des pouvoirs publics. Le Conseil de l’Europe l’a, me semble-t-il, bien compris. Il s’assure que tous nos Etats disposent de législations permettant aux organisations non gouvernementales de se constituer aisément et de fonctionner efficacement, dans le respect de l’Etat de droit. Il facilite l’échange de bonnes pratiques entre réseaux d’organisations non gouvernementales. Enfin, à travers un statut participatif, il associe un grand nombre d’organisations internationales non gouvernementales (OING) à ses travaux. -15 - 3. L’Etat de droit a. Pour un espace juridique et judiciaire paneuropéen Au Sommet de Varsovie, les 46 chefs d’Etat et de gouvernement se sont clairement engagés « à renforcer l’Etat de droit sur l’ensemble du continent » en s’appuyant « sur le potentiel normatif du Conseil de l’Europe et sur sa contribution au développement du droit international ». Les piliers de cette action sont l’existence de systèmes judiciaires indépendants et efficaces dans les Etats membres, et la meilleure protection possible des citoyens à l’échelle continentale. L’acquis du Conseil de l’Europe en matière de droits fondamentaux et dans le domaine de la coopération judiciaire et des affaires intérieures est immense. Du côté de l’Union européenne, l’élargissement, la mise en place de l’espace Schengen et l’élaboration des politiques dans le domaine « justice et affaires intérieures » ont conduit les acteurs politiques et les juristes de l’Union européenne à intégrer dans les traités, les directives, les décisions-cadre, les clauses d’une trentaine de conventions parmi les 200 qui constituent l’acquis du Conseil de l’Europe. C’est le cas en ce qui concerne les droits de l’Homme, la prévention de la torture, les droits sociaux à travers la Charte sociale européenne, le droit des minorités, la protection des données, la biomédecine ou la nationalité. Dans ces domaines l’acquis conventionnel du Conseil de l’Europe constitue une référence fondamentale de l’Union européenne. En matière de droit pénal, les traités suivants du Conseil de l'Europe sont considérés par l’Union comme essentiels dans la lutte contre la criminalité organisée : la Convention européenne d’extradition (STE No 24) et son Deuxième Protocole additionnel (STE N° 98), la Convention européenne pour la répression du terrorisme (STE N° 90), le Protocole additionnel à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale (STE N° 99), la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (STE N° 141) et l’Accord relatif au trafic illicite par mer, mettant en oeuvre l'article 17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (STE N° 156). Les règles de transfèrement de détenus sont quant à elles d’ores et déjà appliquées dans 70 pays. Sous peu, la problématique de la contrefaçon des médicaments va susciter des démarches similaires. Dans d’autres domaines comme la transmission des procédures, l’exécution des sanctions, la protection des victimes, la lutte contre le terrorisme, la traite des êtres humains, la protection de l’environnement, les infractions liées à l'informatique, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe se sont inspirés mutuellement et se sont efforcés d’harmoniser les clauses légales en fonction des compétences respectives.4 4 A titre d’exemple dans le domaine pénal: Les conventions de l’Union européenne sur l’extradition et sur l’entraide judiciaire en matière pénale sont largement inspirées des conventions du Conseil de l’Europe datant respectivement de 1957 et 1959, complétées et mises à jour par plusieurs protocoles. Lorsque le Conseil de l’Union européenne a élaboré la Convention d’entraide judiciaire en matière pénale, le Conseil de l’Europe élaborait simultanément à Strasbourg le 2e Protocole à sa convention sur le même sujet. Grâce -16 - Le droit de la famille, la lutte contre la corruption, la circulation des personnes, les compétences des autorités locales en matière de coopération transfrontalière, la participation des étrangers ou encore la lutte contre la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives et le dopage dans le sport apparaissent comme autant de pistes de rapprochement possibles entre les textes juridiques du Conseil de l’Europe et ceux de l’Union européenne en fonction de l’évolution des compétences respectives. Je cite tous ces éléments de manière plus exhaustive pour montrer à quel point le Conseil de l’Europe a contribué à créer un potentiel normatif qui constitue le socle commun à un espace juridique paneuropéen, entendu comme espace normatif minimal, couvrant ses 46 Etats membres ; un espace normatif complémentaire et non contraire à celui régi par le droit de l’Union européenne. Un tel espace juridique et judiciaire paneuropéen est souhaitable dans l’intérêt des citoyens du continent. Il constitue un gage d’une Europe sans clivages. Il résulte d’un partage de valeurs fondamentales et d’un patrimoine constitutionnel et juridique commun qui sont des piliers de l’identité et de l’unité européennes. Il est censé lutter contre des phénomènes comme le crime organisé, la cybercriminalité, le terrorisme, pour ne citer que ceux-là , une lutte qui ne peut aboutir dans la seule Europe des 25. Il est finalement d’autant plus important de promouvoir cet espace juridique et judiciaire paneuropéen dans tous les pays du Conseil de l’Europe qu’ils n’adhéreront pas tous à l’Union européenne. Le développement d’un tel espace juridique paneuropéen à travers les Etats membres du Conseil de l’Europe requiert un certain nombre de conditions : aux synergies qui ont été développées, ce 2e Protocole suit de très près la Convention de mai 2000 sur l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne. Dans un certain nombre d’autres dispositions, il suit la Convention de Schengen. Un autre exemple dans le domaine de la protection des données qui est étroitement lié à l’action dans le domaine pénal : la Directive de 1995 des Communautés européennes " relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données" reprend presque intégralement le contenu de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des données de 1981. Il faut d’ailleurs noter que la Convention de Schengen et la Convention Europol se réfèrent expressément à la Convention du Conseil de l’Europe et qu’aucun pays ne peut adhérer à Schengen sans avoir ratifié l’instrument juridique du Conseil de l’Europe. A titre d’exemple de bonne coopération en matière de droit civil et commercial, la Convention sur l’information et la coopération juridique concernant les « Services de la Société de l'Information » (STE N° 180), qui a été préparée en étroite coopération par le Conseil de l'Europe et la Commission européenne. Elle a pour but d’instaurer un système d'information et de coopération juridique dans le domaine des nouveaux services de communication, en étendant, au-delà des frontières de l’Union européenne, l’application de la Directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 juillet 1998 portant modification de la directive 98/34/CE prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JOCE L 217 du 5 août 1998). La Communauté européenne est Partie à cette Convention. -17 - -le Conseil de l’Europe et l’Union européenne coordonnent systématiquement leurs initiatives législatives dans les matières où les compétences des deux organisations se recoupent et se complètent ; -ils recherchent à travers leur coopération en matière juridique une complémentarité accrue entre leurs textes ; -ils veilleront à ce que le droit communautaire ne soit pas dilué par le jeu des adhésions des Etats membres de l’Union européenne aux conventions de type intergouvernemental du Conseil de l’Europe ; -ils mettent en place – dans le cadre de leurs compétences respectives – une plate- forme conjointe d’évaluation des normes qui appréciera, sans préjuger aucune décision politique, la possibilité d’une reprise des normes du Conseil de l’Europe par l’Union européenne d’une part et celles de l’Union européenne par le Conseil de l’Europe, d’autre part -ils veillent à ce que les mécanismes de suivi en matière d’Etat de droit (par exemple la lutte contre le terrorisme, le blanchiment d’argent, la corruption et la traite des êtres humains, ou la coopération judiciaire en matière pénale) soient conçus de manière à éviter des doubles emplois au détriment de l’application des normes ; -ils encouragent l’adhésion de tous leurs Etats membres aux instruments juridiques des deux organisations pour leur assurer la plus grande couverture géographique possible ; -ils intensifient leurs activités de coopération pour le renforcement de l’Etat de droit dans les domaines et mécanismes où elle s’est révélée efficace, comme la Commission de Venise, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), le Groupement des Etats contre la corruption (GRECO), pour ne citer que ces instances-là ; -l’Union européenne s’appuie, pour l’orientation de ses politiques, sur les évaluations conduites par les différents systèmes de coopération judiciaire au sein du Conseil de l’Europe auxquels elle devrait participer de manière appropriée. b. La clause de déconnexion L’idée de la promotion d’un tel espace juridique et judiciaire paneuropéen n’est pas sans rencontrer des difficultés. Il y a un an, la négociation de trois conventions avait suscité un débat parfois acerbe, d’une part sur les relations interinstitutionnelles et, d’autre part, sur les obligations des Etats membres de l’Union européenne entre eux et avec les autres Etats membres du Conseil de l’Europe. Il s’agissait de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains, de celle sur la prévention du terrorisme et finalement de celle relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme. Le débat était par ailleurs nourri par la crainte exprimée au sein du Conseil de l’Europe que l’Union européenne puisse appliquer les conventions du Conseil de l’Europe en deçà des standards minimaux souscrits. Après de longues discussions, la présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union européenne avait jugé utile de clarifier la nécessité et la portée d’une « clause de déconnexion ». La Déclaration de la Communauté européenne et des Etats membres de -18 - l'Union européenne, faite lors de l’adoption des trois conventions par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 3 mai 2005, précisait le mécanisme de la clause de déconnexion, notamment dans les relations entre les Etats membres de l’Union européenne et les autres membres du Conseil de l’Europe : « En demandant l’inclusion de la ‘clause de déconnexion’, la Communauté européenne/Union européenne et ses Etats membres réaffirment que leur objectif est de prendre en compte la structure institutionnelle de l’Union lorsqu’elles adhèrent à des Conventions internationales, en particulier en cas de transfert de pouvoirs souverains des Etats membres à la Communauté. Cette clause n’a pas pour objectif de réduire les droits ou d’accroître les obligations des Parties non membres de l’Union européenne vis-à-vis de la Communauté européenne/Union européenne et de ses Etats membres, dans la mesure où ces dernières sont également Parties à la présente Convention. La clause de déconnexion est nécessaire pour les dispositions de la Convention qui relèvent de la compétence de la Communauté/Union, afin de souligner que les Etats membres ne peuvent invoquer et appliquer, directement entre eux (ou entre eux et la Communauté/Union), les droits et obligations découlant de la Convention. Ceci ne porte pas préjudice à l’application complète de la Convention entre la Communauté européenne/Union européenne et ses Etats membres, d’une part, et les autres Parties à la Convention, d’autre part ; la Communauté et les Etats membres de l’Union européenne seront liés par la Convention et l’appliqueront comme toute autre Partie à la Convention, le cas échéant, par le biais de la législation de la Communauté/Union. Ils garantiront dès lors le plein respect des dispositions de la Convention vis-à-vis des Parties non membres de l’Union européenne. » La question essentielle qui se pose est de voir comment le droit communautaire, qui confère à l’Union européenne des compétences étendues transférées par ses Etats membres, y compris de nombreuses compétences externes, peut mieux s’articuler avec le droit international, qui évolue lui aussi. Nous assistons d’un côté à un développement rapide et d’une certaine manière sui generis du droit communautaire, et de l’autre à une évolution moins rapide, mais néanmoins substantielle, du droit conventionnel international sur notre continent. L’Union européenne porte tout comme le Conseil de l’Europe une responsabilité continentale. L’exercice de cette responsabilité la contraindra encore souvent à se lier à des droits qui lui sont hétérogènes. Il est dès lors dans l’intérêt de la sécurité juridique de tous les citoyens des Etats membres du Conseil de l’Europe qu’il y ait, en amont de toute initiative législative où leurs compétences se croisent, des consultations appropriées, techniques ou politiques, entre l’Union européenne d’un côté et le Conseil de l’Europe de l’autre. -19 - Il ne s’agit pas de freiner la dynamique communautaire de l’Union européenne au contact de mécanismes intergouvernementaux, mais de parer à l’insécurité juridique et à des incompatibilités majeures entre le droit communautaire et le droit international, notamment celui de notre continent européen, dont le potentiel normatif doit rester un élément de partage bien dosé et non un facteur de division. L’instauration de ces liens entre l’évolution du droit communautaire et celle du droit international à travers des consultations avec le Conseil de l’Europe est une nécessité. Elle devrait être abordée par l’Union européenne dans un esprit de coopération et comme une opportunité pour donner des impulsions propres au droit. Du côté du Conseil de l’Europe, les Etats membres non membres de l’Union européenne ne devront pas utiliser un tel mécanisme de consultation pour freiner de quelque manière que ce soit une dynamique communautaire qui assume ouvertement ses responsabilités continentales. Cette évolution est en cours. Depuis la clôture de la négociation sur les trois Conventions le débat est devenu plus serein et l’impact de ladite clause a été dans une large mesure dédramatisé. Malgré tout, l’Union européenne ne pourra vraisemblablement pas se passer de clauses de déconnexion. Mais celles-ci ne sont en fait rien d’autre que des clauses relatives à l’Union européenne. Je me demande d’ailleurs s’il ne vaudrait pas mieux les nommer ainsi. c. Pour une plate-forme conjointe d’évaluation des normes Pour avancer sur le chemin de cet espace juridique et judiciaire paneuropéen, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe devraient également mettre en place une plate- forme conjointe d’évaluation des normes qui appréciera la possibilité d’une reprise par l’Union européenne de normes du Conseil de l’Europe, et inversement, par le Conseil de l’Europe de normes de l’Union européenne, chaque fois dans le cadre de leurs compétences respectives. Je sais que la Commission européenne est d’ores et déjà prête à scruter certaines conventions du Conseil de l’Europe en vue de leur reprise. Mais il va de soi que le dialogue entre juristes dans le cadre d’une telle plate-forme, ne préjugerait en rien la décision politique ou le droit d’initiative chez les deux parties de reprendre ou non un texte législatif. Une telle plate-forme, en aval de l’adoption de textes, serait à la fois un complément à la consultation en amont en cas d’initiative législative et un gage supplémentaire de la cohérence juridique sur le continent. -20 - d. Pour un développement de la coopération judiciaire La coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne en matière judiciaire est, de toutes les coopérations, celle qui fonctionne le mieux. Actuellement, les priorités du Conseil de l’Europe en matière de coopération judiciaire sont la lutte contre la traite des êtres humains, la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la corruption et le crime organisé, y compris la cybercriminalité, et les questions de bioéthique. Le volet « protection des enfants » est par ailleurs en train de prendre une importance grandissante. Les acquis législatifs dans ces domaines se recoupent largement. Il serait important que l’Union européenne et le Conseil de l’Europe déterminent plus systématiquement des priorités communes. La politique de protection des enfants, qui fera bientôt l’objet d’une communication de la Commission européenne, devrait notamment impliquer une coopération accrue avec le Conseil de l’Europe. Du côté du Conseil de l’Europe, on déplore que l’Union européenne n’adhère pas à des mécanismes de suivi comme le GRECO5 ou Moneyval6. La Commission européenne participe aux travaux du GRECO, mais a ajourné toute adhésion en attendant que le processus d’évolution des traités de l’Union européenne se débloque. Je tiens à souligner dans ce contexte que l’adhésion de l’Union européenne à ce mécanisme, auquel les Etats- Unis ont adhéré, n’est pas comparable à l’adhésion à un traité international. Il s’agit davantage d’une participation plus formelle à des mécanismes de suivi qui éviterait de nombreux doubles emplois. L’Union européenne a participé à Moneyval et y a même contribué financièrement, pour en sortir par la suite. Il me semble utile qu’elle reconsidère sa position à l’égard de ces deux mécanismes d’évaluation en vue d’y participer plus activement, y compris d’y adhérer en temps voulu, et d’en utiliser plus systématiquement les résultats. L’Union européenne pourrait également tirer de grands bénéfices des réseaux qui ont été constitués depuis une quinzaine d’années à travers l’Europe grâce à la coopération juridique et judiciaire du Conseil de l’Europe. Des organes comme le Comité consultatif des juges européens, la Réunion des Présidents des Cours suprêmes européennes ou bien la Conférence des Procureurs généraux d’Europe sont des fora qui ont conduit à la constitution de réseaux auxquels l’Union européenne pourrait recourir directement en cas d’un besoin opérationnel ou d’expertise. Mécanisme chargé de contrôler par le biais d’un processus dynamique d’évaluation et de pressions mutuelles, l’application des principes directeurs pour la lutte contre la corruption et la mise en oeuvre des instruments juridiques internationaux. 6 Comité restreint d’experts sur l’évaluation des mesures contre le blanchiment des capitaux, responsable de l’examen, par le biais d’une procédure d’évaluation mutuelle et de pression par les pairs, des mesures contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme adoptées par les Etats membres du Conseil de l’Europe n’appartenant pas au GAFI (Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux). -21 - La troïka « Justice et Affaires intérieures » -Conseil de l’Europe s’est avérée être une structure d’ordre stratégique. Elle doit être maintenue. La coopération qui se développe en son sein dans le domaine du droit pénal devrait cependant être étendue à tous les domaines du droit, notamment le droit civil et administratif. -22 - 4. Politique européenne de voisinage et Processus de stabilisation et d’association de l’Union européenne L’action du Conseil de l’Europe apporte une contribution utile à la réalisation par l’Union européenne de ses objectifs dans le cadre de son élargissement, de sa Politique européenne de voisinage ou de son Processus de stabilisation et d’association. Mais elle ne saurait se limiter à une simple contribution à des politiques de l’Union européenne, ni conduire à une instrumentalisation de l’un par l’autre. Je préfère parler d’une communauté d’objectifs en matière de défense des droits de l’Homme, de promotion de la démocratie et de renforcement de l’Etat de droit, d’un côté, et d’une complémentarité des compétences par rapport à ces objectifs, de l’autre. La Politique européenne de voisinage et le Processus de stabilisation et d’association de l’Union européenne sont considérés dans le plan d’action de Varsovie comme une opportunité de coopération accrue dans les pays qui participent à ces politiques. Dans l’esprit de complémentarité qui fonde la coopération entre les deux organisations, le recours par l’Union européenne à l’expertise du Conseil de l’Europe (à travers les mécanismes de suivi considérés comme référence systématique, le recours au Commissaire aux droits de l’Homme ouvert à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, le mécanisme conjoint d’évaluation des normes, la coordination des initiatives législatives, etc.) ne doit pas être exceptionnel. Au contraire, l’apport du Conseil de l’Europe à la Politique européenne de voisinage et au Processus de stabilisation et d’association de l’Union découle tout naturellement de sa mission : il est le cadre continental unique de défense des droits de l’Homme, il promeut au niveau paneuropéen la démocratie et l’Etat de droit, son potentiel normatif est au service des droits de l’Homme et d’une cohérence juridique accrue. Ce potentiel normatif peut avoir, selon les cas, un effet contraignant, injonctif ou induit. Sa contribution aux politiques de l’Union européenne ne constitue rien d’autre qu’une résultante des axes de coopération renforcée proposés dans les chapitres précédents. Ceux-ci ne font, quant à eux, qu’extrapoler, formaliser et systématiser les meilleures pratiques qui existent déjà entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. Cela demande bien sûr de délimiter clairement le champ d’application matériel et géographique de la coopération entre les deux organisations dans ce contexte. Quant aux domaines couverts, ceux-ci découlent de la vocation du Conseil de l’Europe, réaffirmée au Sommet de Varsovie : il est une organisation paneuropéenne dont « la mission essentielle » est « de préserver et de promouvoir les droits de l’Homme, la démocratie et l’Etat de droit ». S’agissant du champ géographique de cette coopération, il me semble nécessaire de recommander qu’elle se concentre sur les Etats membres du Conseil de l’Europe et le Belarus, pays qui a vocation à devenir membre du Conseil de l’Europe. Une implication du Conseil de l’Europe dans la dimension du dialogue interculturel de la politique euro-méditerranéenne dépassera d’autant plus ses capacités qu’il a un rôle important à jouer dans les multiples dialogues interculturels qui sont devenus nécessaires dans l’espace géographique défini par ses 46 Etats membres. -23 - Dès à présent, nombre de Plans d’Action, conclus ou négociés dans le cadre des Processus de stabilisation et d’association ainsi que de la Politique de voisinage, de l’Union européenne reprennent parmi leurs objectifs détaillés dans les domaines institutionnels et juridiques une série d’engagements statutaires ou spécifiques acceptés par les Etats au moment de leur adhésion au Conseil de l’Europe. Pour certains de ces Etats, l’accomplissement de l’ensemble des engagements auprès du Conseil de l’Europe figure même comme objectif premier des plans d’action conclus avec l’Union européenne. Un renforcement du partenariat et des coopérations entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe pour enraciner plus fortement la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit dans ces pays est ainsi en cours. Il convient d’amplifier cette démarche. -24 - 5. Les valeurs européennes sur le terrain La coopération entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe ne doit pas s’arrêter là. Les deux organisations doivent également se donner les moyens, à travers des programmes dans des domaines choisis pour leur effet multiplicateur, de faire essaimer ensemble les valeurs qu’elles défendent sur le terrain. Je pense en particulier à une action commune dans les domaines de la jeunesse, de l’éducation et de la culture ainsi que du dialogue interculturel. Ce dernier joue un rôle croissant dans les débats sociétaux d’une Europe en pleine mutation. Je me bornerai ici à formuler un petit nombre de remarques et suggestions. a. Jeunesse Le Conseil de l’Europe a une longue tradition de travail avec la jeunesse et a établi à travers le système de co-gestion entre la société civile (organisations et réseaux de jeunesse) et les gouvernements un modèle de travail qui peut être utilisé pour promouvoir la participation des jeunes aux institutions et processus démocratiques dans toute l’Europe. Le Conseil s’apprête à lancer à partir de juin 2006 une nouvelle campagne européenne de jeunesse pour la diversité, les droits de l’Homme et la participation sous l’égide de ce slogan « Tous différents – tous égaux » qui n’a cessé de marquer nos esprits depuis dix ans. La Commission européenne participe à cette campagne. Je ne peux que lancer un ardent appel à ce que la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, qui a déjà une longue tradition, s’approfondisse au cours de cette opération. Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne poursuivent dans le domaine de la jeunesse des politiques presque identiques, avec des moyens certes différents. Quelques passerelles existent cependant. Trois programmes7 relatifs à la jeunesse sont ainsi menés dans le cadre d’accords de partenariat entre le Conseil de l'Europe et la Commission européenne. Ces accords arrivent à échéance fin 2006. Les deux institutions ne les ont pas encore renouvelés pour la période 2007-2013. C’est l’occasion d’envisager de nouvelles initiatives communes conférant plus de substance à l’idée d’une Europe sans clivages, et prenant appui, du côté du Conseil de l’Europe, sur certains de ses points forts : les réseaux mis en place, notamment au niveau régional, incluant des pays membres et non- membres de l’Union européenne, la tradition de formation des formateurs et des leaders des jeunes ainsi que l’organisation d’échanges entre jeunes de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. 7 Le Programme de partenariat sur la formation européenne des animateurs de jeunesse vise à promouvoir une citoyenneté et une société civile active en Europe. Le Programme de recherche sur la jeunesse cherche à établir des liens entre les connaissances en matière de recherche, les politiques de jeunesse et les pratiques pédagogiques et assure un suivi du livre blanc de la Commission européenne sur les jeunes. Le Programme sur la coopération euro-méditerranéenne en matière de jeunesse veut renforcer les capacités de dialogue interculturel et de sensibilisation aux droits de l'homme grâce à des activités avec les jeunes de cette région. -25 - b. Education Il y a peu de domaines où la souveraineté des autorités compétentes, qu’elles soient nationales ou régionales, s’exerce avec autant de force que dans celui de l’éducation. L’idée de confinement national ou régional s’avère cependant incompatible avec les principes de base de toute éducation, qui sont ceux de la transmission, de la circulation et de la création du savoir. Pour que les connaissances se transmettent, circulent et se développent, il faut que les enseignants et les étudiants circulent eux aussi, et que leurs acquis et leurs compétences soient reconnus et valorisés. Notre continent a une tradition ancestrale d’enseignants et d’étudiants qui se déplaçaient de pays en pays, d’école à école, d’université à université. La division de l’Europe avait mis un premier grand frein à cette tradition. Les réformes très technocratiques des enseignements de l’Europe occidentale des années 60 et 70 ont mis un nouveau frein à cette tradition en mettant en place des cycles de qualification relativement fermés. Dans l’enseignement secondaire, les échanges peinent à renaître, alors que dans l’enseignement universitaire, on assiste à une migration transatlantique qui prend les proportions d’une fuite des cerveaux. L’Europe affiche de grandes ambitions en matière de recherche et de connaissances, mais les faits la démentent. Pire, la dynamisation des systèmes universitaires des pays d’Europe centrale, orientale ou du Sud-est n’est pas due aux échanges intereuropéens, mais essentiellement aux échanges transatlantiques. En matière d’éducation, un véritable gouffre s’ouvre entre l’ambition européenne et les faits. Toute action d’une institution européenne dans le domaine de l’éducation – et à fortiori toute coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne – doit tenir compte de cet objectif. Pendant quinze ans, le Conseil de l’Europe a soutenu, par son Programme de réforme législative (PRL), les processus de réforme des législations de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le cadre du renforcement de la démocratie dans les pays d’Europe centrale et orientale. Bien que doté de peu de ressources, le PRL a été une réussite. Il présente un intérêt majeur pour l’Union européenne, notamment dans les pays candidats à l’adhésion et dans les pays relevant de sa Politique européenne de voisinage et de son Processus de stabilisation et d’association. Je suis d’avis qu’il faut envisager ici une coopération intense entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, coopération à doter de ressources financières à la hauteur des enjeux. Cette coopération doit impliquer les universités de l’Union européenne, que j’appellerais à devenir plus offensives en la matière. La volonté politique de procéder en ce sens existe dans l’Union européenne. Elle s’exprime à travers le processus de Bologne qui vise à créer d’ici à 2010 un Espace européen de l’enseignement supérieur. Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne contribuent chacun à sa manière à l’établissement de cet espace. Le Conseil de l’Europe se distingue par son travail en -26 - matière de reconnaissance des qualifications ainsi que par sa participation active dans le cadre des mécanismes directeurs, comme le groupe de suivi du processus de Bologne. La contribution de l’Union européenne passe par les programmes Erasmus et Erasmus mundus, qui totalisent des budgets très importants. Les contributions des deux organisations se complètent malgré la disparité des budgets. Elles devraient chercher dans ce domaine de nouvelles synergies bien ciblées dans le cadre de leurs compétences et forces respectives. Des synergies sont également possibles entre les projets du Conseil de l’Europe pour les échanges entre écoles secondaires et le programme Comenius de l’Union européenne, qui couvre aussi l’enseignement scolaire jusqu’à la fin du deuxième cycle de l’enseignement secondaire. Les deux organisations partagent l’objectif de promouvoir la compréhension par les jeunes et le personnel éducatif de la diversité des cultures européennes et de la valeur de cette diversité. Elles organisent des échanges interculturels et assurent la transition école- travail en aidant les jeunes à acquérir les qualifications et compétences de base. Celles-ci s’avéreront nécessaires à leur développement personnel, à leur activité professionnelle future et à une citoyenneté active. Dans ce contexte, toutes les coopérations qui peuvent constituer une valeur ajoutée pour les deux organisations doivent être envisagées. Finalement, je suis d’avis que le projet du Conseil de l’Europe de créer un Centre d’excellence du personnel éducatif pour l’enseignement relatif aux droits de l’Homme, à la citoyenneté démocratique, au dialogue interculturel et la diversité religieuse devrait être soutenu par l’Union européenne. c. La coopération culturelle La coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne dans le domaine culturel est ancienne. La Convention culturelle européenne du Conseil de l’Europe, qui date de 1954, constitue toujours le cadre normatif de toutes les politiques culturelles menées en Europe. Ce potentiel normatif s’exprime également à travers les conventions sur les infractions visant des biens culturels, sur la coproduction cinématographique et la protection du patrimoine archéologique. Ces conventions constituent une sorte de fonds commun qui inspire d’innombrables projets de l’Union européenne. Actuellement, le Conseil de l’Europe compte parmi ses priorités politiques la promotion de l’identité, le respect de la diversité, le soutien à la créativité et l’encouragement à la participation. L’Union européenne poursuit des buts similaires avec son programme Culture 2000. Elle est, de même que ses États membres, ouverte à la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes dans le domaine de la culture, « en particulier avec le Conseil de l'Europe ». Cette coopération porte, dans le domaine de la culture, sur des campagnes de sensibilisation (Année européenne des langues, Journées européennes du patrimoine) -27 - ainsi que sur le financement de projets portant, par exemple, sur les professions du patrimoine et sur la mise en place de réseaux de coopération autour du patrimoine mondial ou des politiques de valorisation des sites archéologiques. Elle pourrait s’étendre au projet des itinéraires culturels européens. En dehors des pays de l’Union européenne, elle s’exerce notamment à travers les programmes culturels conjoints dans le cadre de l’élargissement de l’Union européenne, de sa Politique européenne de voisinage et de son Processus de stabilisation et d’association. Dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel, la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne prend plusieurs formes. La Commission est membre de l’Observatoire européen de l’audiovisuel qui a pour mission d’améliorer l’information des professionnels sur l’industrie et les marchés de l’audiovisuel. Par contre, elle ne participe pas pour le moment au Fonds d’aide à la coproduction audiovisuelle du Conseil de l’Europe, plus connu sous le nom d’« Eurimages ». Eurimages est incontestablement un des succès du Conseil de l’Europe. Il est le seul instrument d’aide à la production cinématographique et audiovisuelle au niveau européen. L’Union européenne et son Plan Media interviennent en amont et en aval de la production mais pas dans la production proprement dite. Sur ce point la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne évite donc soigneusement les doubles emplois. Il me paraît néanmoins utile d’étudier l’opportunité d’une adhésion à terme de l’Union européenne à Eurimages, qui pourrait conduire à la définition d’une stratégie commune, à une plus grande efficacité et cohérence de l’intervention en faveur de la production audiovisuelle, à des synergies financières qui ne sauraient qu’être bénéfiques pour tous les acteurs du secteur. d. Le dialogue interculturel Le dialogue interculturel est un objectif commun au Conseil de l’Europe et à l’Union européenne. En octobre 2005, la Conférence ministérielle des ministres de la Culture qui s’est tenue à Faro au Portugal a lancé la stratégie du Conseil de l’Europe pour le développement du dialogue interculturel. Par ailleurs, la Commission européenne veut proclamer l’année 2008 « Année du dialogue interculturel ». Les sociétés européennes sont depuis un siècle marquées par le problème des minorités et par des exodes et migrations de tout ordre. Elles ont accueilli de nouvelles populations du monde entier et sont ainsi devenues des sociétés pluriculturelles. Le sens d’un dialogue interculturel consiste à faire partager par tous les membres de nos sociétés les valeurs fondamentales qui font l’identité et l’unité européenne. Car ces valeurs, qu’il s’agisse des droits de l’Homme, de la démocratie, de l’Etat de droit ou de l’égalité entre les hommes et les femmes, de la diversité, de la tolérance et du rejet des discriminations fondées sur -28 - l’origine ethnique et la religion, ne sont pas négociables. Il s’avère utile et nécessaire de l’affirmer clairement. La promotion et la diffusion de ces « minima moralia » est une tâche immense et complexe. Les types de débats interculturels changent avec la situation géographique des pays ainsi que les populations qu’ils abritent ou accueillent. Le dialogue interculturel ne peut être réduit à un débat autour d’une religion. Cela ne ferait que conforter ceux qui parlent d’un conflit entre les civilisations, un concept réducteur qui porte tant d’amalgames et génère tant de tensions qu’il faut le rejeter. Il y a sur le continent européen autant de dialogues et débats interculturels qu’il y a de points de contact, et parfois de friction, entre individus et groupes culturellement différents. Le but des forces unies du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne n’est pas d’exacerber les différences pour les transformer en dissidences. Il est de prôner l’égalité dans la différence et d’induire l’unité à travers des valeurs fondamentales communes. Il est surtout de faire vivre ensemble des populations qu’un entendement perverti de l’Histoire, de la culture et de l’identité a souvent conduites à des affrontements qui sont allés du simple heurt au plus indicible des génocides. L’application de ces valeurs fondamentales peut se moduler au niveau national, régional ou local, et cela serait le sens du dialogue interculturel. Mais elles ne pourront pas être relativisées, à moins de vouloir mettre en danger soixante ans d’efforts pour que le continent européen, qui a été un continent très violent jusqu’à une date récente, devienne un espace toujours imparfaitement, mais quand même progressivement gouverné par des valeurs partagées, porteuses de paix et de stabilité. Le dialogue interculturel doit donc d’abord être entendu comme un dialogue intraeuropéen, comme un débat entre des composantes différentes des sociétés européennes. Nul besoin de traverser les rives des mers pour consulter des autorités idéologiques qui méritent tout notre respect, mais qui sont à beaucoup d’égards étrangères à ce dialogue interculturel européen. Le dialogue interculturel en Europe ne doit pas être confondu avec le dialogue euro-atlantique ou le dialogue euro-méditerranéen. Ce sont là des dialogues nécessaires que l’Union européenne a les moyens de mener dans le cadre de sa politique extérieure et de sécurité commune. Ce qui importe d’abord pour le Conseil de l’Europe, c’est de se concentrer avec l’Union européenne et à travers ses relais gouvernementaux, parlementaires, locaux et dans la société civile, sur un dialogue interculturel paneuropéen qui mène à un partage de nos valeurs fondamentales par tous les membres des sociétés européennes, de quelque origine et appartenance culturelle, ethnique ou religieuse qu’ils soient. L’Europe doit être capable d’intégrer ses différences par sa propre force, par l’autorité de ses propres valeurs et arguments, et surtout par la force de conviction qui émane de son action. -29 - 6. Les programmes conjoints Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont mis en oeuvre depuis une dizaine d’années de nombreux programmes de soutien aux réformes démocratiques, élaborés de commun accord avec les Etats bénéficiaires, co-financés par nos deux institutions et exécutés par le Conseil de l’Europe. Ces « programmes conjoints » sont destinés tant aux pays concernés aujourd’hui par la Politique européenne de voisinage et le Processus de stabilisation et d’association de l’Union européenne qu’à d’autres pays, comme la Turquie ou la Russie. Il faut continuer à accorder une grande importance aux programmes conjoints des deux organisations dans les domaines d’excellence du Conseil de l’Europe : les institutions démocratiques (y compris au niveau local et régional), la promotion des droits de l’Homme et l’indépendance du judiciaire. Les programmes conjoints de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe s’élevaient en 2005 à un montant global de plus de 47 millions d’euros. Parmi les programmes les plus significatifs figurent la modernisation de l’appareil judiciaire et les réformes pénales en Turquie, l’instauration d’un appareil judiciaire indépendant, fiable et en ordre de fonctionner dans les Balkans occidentaux, ou la mise en place de forces de police capables de combattre la criminalité dans les pays de l’Europe du Sud-est. La contribution financière de l’Union européenne à ces programmes était de plus de 90% du total, ce qui montre de fait le très grand intérêt apporté par l’Union européennes au potentiel transformateur du Conseil de l’Europe. Les programmes conjoints conclus avec EIDHR8, TACIS et CARDS9 ont abordé entre autres les tâches suivantes : -mise en place de mécanismes de protection des droits de l’Homme et promotion d’une culture des droits de l’Homme ; -développement de nouvelles institutions démocratiques locales et régionales ; -accès aux droits sociaux ; -soutien à la construction de secteurs sociaux ; -réformes des législations sur les médias et action en faveur d’une presse libre ; -promotion de la citoyenneté dans l’éducation ; -programmes en faveur des Roms en Europe du Sud-est ; -formation politique des leaders ; -renforcement de l’enseignement universitaire ; -réhabilitation du patrimoine architectural et archéologique dans les Balkans. 8 European Initiative for Democracy and Human Rights 9 Community Assistance for Reconstruction, Democratisation and Stabilisation -30 - Les programmes conjoints sont la concrétisation d’une Europe sans clivages sur le terrain. D’où la nécessité non seulement d’augmenter le nombre de ces programmes dans les pays qui ont des besoins réels mais de s’associer dès la conception des programmes. Le Conseil de l’Europe n’est pas un compétiteur parmi tant d’autres dans ce contexte, il doit être considéré par l’Union européenne comme un partenaire incontournable. Si les responsables de la Commission européenne se réunissaient en amont avec ceux du Conseil de l’Europe et des partenaires concernés pour discuter des priorités de leur coopération dans le cadre de programmes conjoints, cela contribuerait à améliorer l’efficacité de ces programmes et leur pertinence par rapport à des objectifs précis. La Déclaration de 2001 sur le partenariat et la coopération n’a pas encore produit tous ses effets. Les mécanismes de consultation réciproque devraient être renforcés. Les réunions des Comités Directeurs organisées dans le cadre de ces programmes conjoints devraient être le forum privilégié pour définir les choix stratégiques de la coopération. -31 - 7. Les consultations et coopérations interinstitutionnelles a. Les rencontres au niveau des leaders La « quadripartite » est censée être le rendez-vous semestriel au sommet entre le Secrétaire Général et le président du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe d’un côté, et la Présidence du Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne de l’autre. Au fil des années, la formule s’était un peu vidée de sa substance. Certes la dernière « quadripartite » du 15 mars 2006 a été marquée par une heureuse intensification des discussions entre les deux organisations. Cela n’empêche qu’il faut revaloriser ce rendez-vous et, en général, nouer des relations interinstitutionnelles plus efficaces. Il est nécessaire d’envisager un autre type de périodicité, de changer la façon de préparer ces réunions, de n’aborder qu’un nombre limité de thèmes vraiment substantiels en se donnant le temps d’une discussion approfondie. Je propose donc, dans la logique de la complémentarité qui est celle de ce rapport, plusieurs mesures : -La quadripartite sera dorénavant un rendez-vous annuel qui approfondira les points les plus saillants de la coopération entre les deux organisations. -Il faudrait en même temps convenir du principe de rencontres ponctuelles, dictées par l’actualité, entre les différents organes et instances du Conseil de l’Europe (Secrétaire Général, Comité des Ministres, Assemblée parlementaire, Congrès, Commissaire aux droits de l’Homme) avec le ou les Commissaires et les représentants du Conseil directement concernés par une problématique ad hoc. -Il serait également utile que le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe puisse être sur une base ad hoc invité au Conseil « Affaires générales et Relations extérieures », et le Commissaire aux droits de l’Homme au Conseil « Justice et Affaires intérieures ». -Les relations entre le Secrétaire Général et le Comité politique et de sécurité (COPS) devraient également être adaptées à l’actualité. Le résultat de ces propositions est de tendre vers des contacts plus fréquents mais surtout plus naturels et plus intenses. Il s’agit après tout de questions substantielles concernant la sécurité démocratique du continent. Les contacts seraient en même temps plus efficaces, car directement axés sur la résolution des questions à l’ordre du jour. On a pu constater la bonne coopération entre le Conseil de l’Europe et la Commission européenne dans le cadre de l’enquête sur les transports et détentions illégales de prisonniers en Europe. Le Conseil de l’Europe avait déclenché l’enquête. La Commission européenne a, par l’entremise du Commissaire Franco Frattini, mis à la disposition des enquêteurs du Conseil de l’Europe les renseignements en la matière dont elle pouvait -32 - disposer. Il s’agissait de l’exemple même d’une nouvelle approche des relations entre les leaders des deux organisations qui devrait conduire à un rééquilibrage approprié entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Pour que ce rééquilibrage puisse être complètement mené à bien, il serait utile de réexaminer au Conseil de l’Europe, et notamment au Comité des Ministres et à l’Assemblée parlementaire, les critères de sélection des candidats au poste de Secrétaire Général(e). Le Conseil de l’Europe s’exprime d’abord à travers la personne de son/sa Secrétaire Général(e). C’est lui ou elle qui est le premier interlocuteur des gouvernements et du leadership des institutions de l’Union européenne. Ses interlocuteurs sont en premier lieu les chefs d’Etat, les chefs de gouvernements et les ministres des Affaires étrangères. Indépendamment de la qualité des personnalités qui ont tour à tour occupé ce poste, je suis fermement convaincu que le Conseil de l’Europe devrait aller dans la direction d’élire son/sa Secrétaire Général(e) parmi les personnalités politiques qui, par leur action en faveur de la sécurité démocratique, bénéficient d’un haut degré de reconnaissance et de notoriété parmi leurs pairs et la population du continent. Il devrait envisager de préférence, et à l’instar de l’Union européenne, d’élire une personnalité qui possède une expérience de chef d’Etat ou de gouvernement. Une telle démarche facilitera certainement un avancement plus rapide sur les questions continentales qui sont de la compétence du Conseil de l’Europe. b. La coopération interparlementaire Les contacts entre l’Assemblé parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) et le Parlement européen ne sont pas une chose facile. Deux sessions communes ont eu lieu depuis 1995, mais on ne peut les qualifier de succès. Au Parlement européen, on connaît mal les ressources du Conseil de l’Europe. Cela conduit à des doubles emplois. Alors que l’Union européenne en tant que telle se réfère, par exemple, au mécanisme de suivi du Comité pour la prévention de la torture, il est arrivé qu’une commission ad hoc soit créée au Parlement européen pour traiter de questions relatives à la torture. Bien sûr, la différence de moyens est flagrante entre l’APCE et le Parlement européen, et il y a également une grande différence entre les cultures politiques des deux institutions parlementaires. Le Parlement européen est un organe législatif dont l’agenda est strictement dicté par les directives à adopter et par l’agenda du Conseil des ministres dont la périodicité est très contraignante. Il est largement structuré autour des groupes politiques. L’APCE dont les membres sont issus des parlements nationaux et ont un double mandat est un organe « para-législatif ». Les grandes familles politiques européennes y sont moins fortement organisées que les délégations nationales. Son agenda est moins contraignant. L’APCE a pour cela l’avantage d’être très libre et parfois imaginative. Elle peut se targuer d’avoir à son actif la mise en route de nombreuses conventions. La coopération entre l’APCE et le Parlement européen doit apporter une véritable valeur ajoutée pour la sécurité démocratique en Europe et éviter les doubles emplois. Elle -33 - devrait notamment permettre d’identifier l’enceinte la plus appropriée pour donner des réponses à certains problèmes de société et de droit qui se posent dans une Europe élargie. Les deux assemblées peuvent ainsi jouer un rôle de levier pour rapprocher voire harmoniser les législations au niveau de la grande Europe. L’APCE apporte actuellement sa valeur ajoutée par quatre tâches : 1. son travail de sensibilisation pour la création d’une Europe du droit, dans un espace juridique paneuropéen où l’absence de réglementation dans un certain nombre de domaines peut ouvrir des espaces de non-droit d’une ampleur inégalée ; 2. son travail d’impulsion politique et d’élaboration des normes sur des questions qui requièrent une solution dans un espace géographique plus large que celui de l’Union européenne ; 3. son travail de vérification du respect des engagements et obligations pris par les Etats membres lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe qui se recoupent en partie avec les conditions d’adhésion à l’Union européenne et de participation à d’autres politiques de l’Union européenne ; 4. son travail d’enquête sur des faits qui pourraient avoir entraîné une violation grave des principes conventionnels du Conseil de l’Europe. Les points de contact les plus utiles entre les deux Assemblées seraient à mes yeux: 1. les rencontres entre les Conférences des présidents des groupes politiques respectives 2. les rencontres entre les présidents des commissions respectives. Les rencontres entre les Conférences des présidents des groupes politiques des deux assemblées contribueraient vraisemblablement à renforcer une logique de groupes politiques au sein de l’APCE. Elles faciliteraient des échanges plus politiques entre les députés du Parlement européen et les députés issus de parlements nationaux. L’utilité de se coordonner est évidente au niveau des élus de l’Union européenne. Les députés des Etats non membres de l’Union européenne au sein de l’APCE seraient de leur côté plus profondément impliqués dans un processus général d’européanisation des familles et partis politiques. Les rencontres entre les présidents des commissions des deux parlements existent déjà. Il s’agirait cependant d’en revoir le fonctionnement. Leur périodicité devrait être convenue avec les commissions du Parlement européen. Une possibilité de se rencontrer en fonction des urgences de l’agenda européen devrait également être aménagée. Ces -34 - réunions devraient se concentrer sur un nombre limité de thèmes stratégiques clairement définis au sein des deux institutions et coordonnés entre elles. c. Le rôle des Etats membres dans la coopération interinstitutionnelle Le renforcement de la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ne pourra pas se faire sans l’engagement des Etats membres. Les ministres des Affaires étrangères, en particulier ceux des 25, devront s’impliquer davantage dans les travaux du Conseil de l’Europe. Malgré leurs agendas chargés, parfois surchargés d’engagements multilatéraux, leur présence aux réunions ministérielles du Conseil de l’Europe me semble indispensable. Leurs ministères devraient également assurer avec les ministères spécialisés une meilleure coordination des politiques de leurs pays dans les domaines normatifs, éducationnels, sociaux ou culturels au sein des deux organisations sur la base de leur différence et de leur complémentarité respectives. Les Conférences des ministres spécialisés convoquées par le Conseil de l’Europe seraient d’ailleurs une bonne occasion d’élargir la réflexion en commun en y associant, outre la Commission européenne, des représentants des commissions parlementaires pertinentes de nos deux ensembles institutionnels. Dans la mesure où les sujets traités au Conseil de l’Europe sont liés, à la base, aux droits de l’Homme, à la démocratie et à l’Etat de droit, il s’agit de champs d’actions qui ont une éminente connotation politique et donc besoin d’un suivi cohérent. Enfin, est-il besoin de le souligner, la cohérence imposerait aussi à nos Etats, s’ils veulent vraiment valoriser l’action du Conseil de l’Europe dans le partenariat renforcé avec l’Union européenne qui inspire tout ce rapport, d’engager un processus de programmation budgétaire à moyen terme pour que l’institution des 46 dispose dans la durée des moyens de notre ambition. C’est affaire de sérieux et de bonne gouvernance. d. Vers une réciprocité appropriée de la représentation La réciprocité en matière de représentation d’une organisation auprès de l’autre n’est pas donnée dans les relations entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. L’Union européenne est représentée au Comité des délégués par un représentant non résident. Les experts de l’Union européenne peuvent participer à toutes les réunions des groupes de travail du Conseil de l’Europe, et la Commission européenne parle au nom des 25 Etats membres de l’Union quand des questions qui relèvent de la compétence communautaire sont abordées. L’Union européenne est systématiquement informée des projets du Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe, de son côté, dispose à Bruxelles d’un bureau de liaison. Son représentant ne bénéficie cependant ni du même degré de reconnaissance formelle, ni du même accès systématique à l’information que le représentant de l’Union à Strasbourg. -35 - Les experts du Conseil de l’Europe sont certes consultés, mais pas dans le cadre des groupes de travail de l’Union européenne. Les consultations se déroulent en amont et de manière non systématique. Cette situation n’est pas satisfaisante et nécessite pour le moins des aménagements. Il n’est pas envisageable, vu les dispositions des traités de la Communauté et de l’Union européennes, que des représentants du Conseil de l’Europe puissent participer aux réunions et aux délibérations du Comité des représentants permanents et des groupes de travail de l’Union. Pour autant, il n’est pas acceptable que les dirigeants et les experts du Conseil de l’Europe soient seulement consultés de façon purement ponctuelle, et au même titre que des organisations non gouvernementales. D’où mes propositions, déjà mentionnées dans d’autres passages de ce rapport, d’une coopération systématique dans tous les domaines où les compétences des deux organisations se recoupent ou se complètent, qu’il s’agisse des droits de l’Homme, de la démocratie et de l’Etat de droit. Cette coopération serait organisée en amont, quand il s’agit de prendre et de coordonner des initiatives législatives ou de concevoir des programmes conjoints, ainsi qu’en aval dans le cadre de l’application des normes et du travail sur le terrain. C’est un fait positif que la Commission européenne envisage d’ouvrir à court terme un bureau auprès du Conseil de l’Europe. Il en va de même du fait que le représentant de la Communauté devienne un représentant résident. Il est moins encourageant que le Conseil de l’Union européenne ait décidé de ne pas participer à cette opération. Il serait dans l’intérêt du renforcement de la coopération entre les deux organisations que l’Union européenne se dote d’un bureau disposant de ressources qui correspondent à l’importance stratégique de la coopération avec le Conseil de l’Europe. Pour rééquilibrer les choses à Bruxelles, il faudrait que le travail du chef du Bureau de liaison du Conseil de l’Europe à Bruxelles bénéficie d’une reconnaissance par l’obtention d’un statut reconnu par la communauté diplomatique et d’un accès aussi large que possible à l’information. -36 - 8. L’adhésion de l’Union européenne au Conseil de l’Europe Il résulte de la relation de complémentarité entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, que j’ai longuement décrite, et du renforcement de la coopération entre les deux ensembles, qui s’impose dans l’intérêt de la sécurité démocratique des citoyens du continent, qu’un pas supplémentaire doit être envisagé dans cette relation dès que l’Union européenne aura été dotée d’une personnalité juridique: l’adhésion de l’Union européenne au Conseil de l’Europe d’ici 2010. Pourquoi une adhésion ? Si l’Union européenne adhère à la Convention européenne des droits de l’Homme, si elle prend part, en tant que telle, au débat sur la démocratie sur le continent, si elle participe à la mise en place d’un espace juridique et judiciaire paneuropéen qui se traduira par un partage approprié des normes, si elle prend sa part synergique aux actions du Conseil de l’Europe dans les domaines de l’éducation, de la jeunesse et de la culture, si elle s’engage dans le dialogue interculturel sur le continent européen, si son approche de la coopération interinstitutionnelle s’approfondit et se différencie dans l’esprit de la construction d’une Europe sans clivages, si l’Union européenne continue à évoluer dans le sens décrit ci- dessus, rien ne s’oppose à ce qu’elle adhère au Conseil de l’Europe. Elle pourra ainsi parler directement en son nom dans toutes les instances du Conseil de l’Europe, et ce sur toutes les questions qui touchent aux intérêts de l’Union européenne et qui sont de sa compétence. Le tout dans le cadre d’une dynamique paneuropéenne, que l’Union européenne contribuera à faire avancer dans l’intérêt général du continent. Pourquoi une adhésion d’ici à 2010 ? Les prochaines élections européennes auront lieu en 2009. D’ici là, le débat sur l’évolution des traités de l’Union européenne aura évolué. L’adhésion au Conseil de l’Europe devra également être l’objet d’un débat approfondi sur le sens et l’utilité de la sécurité démocratique sur le continent. Ce débat permettra, je l’espère, aux représentants de l’Union européenne au niveau du Parlement, de la Commission et du Conseil de recueillir auprès des citoyens un vrai mandat pour cette adhésion de l’Union européenne au Conseil de l’Europe. Cette adhésion n’aura qu’un but : faire évoluer les organisations européennes dans l’intérêt des citoyens, et donc faciliter l’évolution vers une Europe sans clivages dans la garantie des libertés, de la dignité et de la sécurité de ses citoyens. -37 - Recommandations finales : Le renforcement du partenariat entre nos deux organisations différentes, mais complémentaires, passe par l’adoption des mesures suivantes, que j’estime nécessaires par l’important effet de levier qu’elles pourront avoir: 1. Les gouvernements des Etats membres de l’Union européenne ouvrent dès à présent la porte à l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) et prennent en vertu de l’article 48 du Traité sur l’Union européenne l’initiative de soumettre à leurs parlements un protocole à cette fin. 2. Les instances de l’Union européenne reconnaissent le Conseil de l’Europe comme la référence continentale en matière de droits de l’Homme. Les arrêts et conclusions de ses mécanismes de suivi seront systématiquement cités comme référence. La consultation par l’Union européenne du Commissaire aux droits de l’Homme et des experts juridiques du Conseil de l’Europe sera la règle dans le processus d’élaboration de nouveaux projets de directives ou de mesures politiques et/ou judiciaires qui touchent à ces questions. 3. Le Commissaire aux droits de l’Homme devient l’institution à laquelle l’Union européenne, comme par ailleurs tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, peuvent avoir recours pour toutes les questions de droits de l’Homme non couvertes par les mécanismes de suivi et de contrôle en place. Il est entendu que le bureau du Commissaire aux droits de l’Homme devra être doté des moyens qui lui permettront de s’acquitter de cette tâche. 4. La future Agence européenne des droits fondamentaux (AEDF) traitera du respect des droits fondamentaux dans le seul cadre de la mise en oeuvre du droit communautaire. Elle n’entamera pas l’unicité, la validité et l’efficacité des instruments de suivi de l’application des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. La CEDH et les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe figureront dans ses statuts comme référence fondamentale. Le Commissaire aux droits de l’Homme, y sera mentionné comme partenaire essentiel. Le Conseil de l’Europe sera représenté dans les instances dirigeantes de l’Agence. Le Commissaire aux droits de l’Homme y sera associé sans voix délibérative. 5. L’Union européenne développera avec le Conseil de l’Europe un dispositif de promotion et de renforcement de la démocratie. Ils utiliseront pleinement l’expertise de la Commission de Venise. Ils feront du nouveau Forum sur l’avenir de la démocratie une instance centrale de réflexion et de proposition sur la participation citoyenne. Ils placeront l’égalité homme-femme au coeur des deux projets. Ils utiliseront le Congrès des -38 pouvoirs locaux et régionaux pour renforcer la démocratie locale et régionale afin d’associer étroitement les 800 millions d’Européens au fonctionnement de nos organisations. 6. L’Union européenne et le Conseil de l’Europe mettront un espace juridique et judiciaire paneuropéen au service d’une Europe sans clivages. Dans cet espace normatif minimal couvrant 46 Etats, ils coordonneront leurs initiatives législatives, ils mettront en place une plate-forme conjointe d’évaluation des normes, chercheront la complémentarité des textes et, le cas échéant, la reprise réciproque des normes. Ils intensifieront leurs activités de coopération à travers la Commission de Venise, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), le Groupement des Etats contre la corruption (GRECO) et Moneyval. Une adhésion à ces instruments sera envisagée en temps utile. 7. La coopération entre les deux organisations dans le cadre de la Politique européenne de voisinage de l’Union européenne se concentrera sur les Etats membres du Conseil de l’Europe et le Belarus, pays qui a vocation à devenir membre du Conseil de l’Europe. Dans la mise en oeuvre de cette politique, comme pour celle du Processus de stabilisation et d’association de l’Union européenne, les programmes conjoints seront les vecteurs privilégiés de la coopération entre les deux organisations, qui les concevront, les mettront en oeuvre et les évalueront en commun. 8. Pour faire avancer une Europe plus humaine et sans clivages, les deux organisations développeront des coopérations exemplaires dans les domaines de la jeunesse, de l’éducation, de la culture et du dialogue interculturel. La nouvelle campagne européenne de jeunesse pour la diversité, les droits de l’Homme et la participation « Tous différents – tous égaux » devrait être organisée et financée en commun. 9. Les deux organisations stimuleront ensemble le dialogue interculturel, entendu comme un débat intra-européen entre des composantes différentes des sociétés européennes, complémentaire du dialogue interculturel que l’Union européenne a entamé au-delà des frontières du continent. 10. L’Union européenne et le Conseil de l’Europe étofferont leurs relations institutionnelles. Les réunions institutionnelles régulières entre dirigeants de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe se concentreront dorénavant sur quelques sujets stratégiques. Les dirigeants des deux organisations se rencontreront autant que nécessaire en fonction de l’actualité, dans une formation appropriée, sur des sujets d’intérêt commun liés à la sécurité démocratique des citoyens du continent. 11. Le resserrement des liens interparlementaires prendra la forme de rencontres entre la Conférence des présidents des groupes politiques du -39 - Parlement européen et de l’APCE, ainsi que de rencontres périodiques et ad hoc entre les présidents des commissions des deux assemblées. 12. Le Conseil de l’Europe ira dans la voie d’élire son/sa Secrétaire Général(e) parmi les personnalités politiques qui, par leur action en faveur de la sécurité démocratique, bénéficient d’un haut degré de reconnaissance et de notoriété parmi leurs pairs et la population du continent. Il devrait envisager de préférence, et à l’instar de l’Union européenne, d’élire une personnalité qui possède une expérience de chef d’Etat ou de gouvernement. 13. Une implication accrue des ministres des Affaires étrangères, en particulier ceux des 25, dans les travaux du Conseil de l’Europe est hautement souhaitable. Ils seront présents aux réunions ministérielles. Ils devraient assurer dans leurs ministères et avec les ministères spécialisés une meilleure coordination des politiques de leurs pays dans les deux organisations. 14. La volonté de valoriser le Conseil de l’Europe comme un partenaire majeur de notre ambition commune pour le continent amènera nos Etats à engager un processus de programmation budgétaire à moyen terme pour lui assurer dans la durée les moyens nécessaires. 15. Le prolongement logique de cet ensemble de mesures serait l’adhésion de l’Union européenne au statut du Conseil de l’Europe, qui peut, selon moi, être raisonnablement envisagée d’ici 2010. -40 -